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Le poids de la loi étrangère dans le conflit de lois
1 mai 2022

Droit des affaires / international


Même si le terme de conflit parait fort, il met en exergue la concurrence qui se livre aujourd’hui entre les communautés, qui usent de la culture comme arme de « softpower » pour influencer les autres et enraciner leur idéologie pour consolider leur suprématie. Dans ce sens, c’est la diversité culturelle qui s’en retrouve victime. Elle disparait sous le poids des grandes puissances hégémoniques.


Le défi posé est de pouvoir concilier entre, d’une part, le respect de la diversité culturelle et, d’autre part, la recherche d’universalisme et son évolution vers l’uniformisation et la conformité. Pour cela, il est important de poser une politique d’égale dignité pour tous, marquant le fait que les groupes et les minorités doivent être reconnus par le droit international comme étant égaux, tout en étant différents.


Et c’est dans cet objectif qu’il parait impératif d’élaborer des normes qui permettent le respect de toutes pratiques, aussi disparates soient-elles, lorsque celles-ci interagissent entre elles et entrent en conflit. C’est dans le cadre de la pluralité des systèmes juridiques qu’apparait le droit des conflits de lois.


Il en résulte aujourd’hui le constat que cette branche du droit international est composée aujourd’hui d’un ensemble éparpillé de règles, pratiques, etc., sans être regroupée dans un ensemble homogène. Les sources sont surtout internationales, en allant des textes les plus basiques comme la déclaration universelle des droits de l’homme, à des conventions plus spécifiques. A cela s’ajoute la jurisprudence, qui tient un rôle non négligeable en matière de droit international privé, dans le sens où elle permet de poser un socle quand il en vient à de nouvelles situations.


En parallèle, les sources internes en matière de réception des situations étrangères restent insuffisantes au Maroc. Le principal fondement juridique est le Dahir sur la condition civile des Français et des étrangers (DCC), datant du 12 septembre 1913, qui pose les bases de la règle de conflit de lois. La prépondérance du droit international sur le droit interne appuie l’idée d’une « dénationalisation de la pensée juridique ».


Historiquement, la règle des conflits de lois n’a pas toujours été liée à des conflits internationaux, les rapports privés internationaux étant trop rares. Ils étaient alors plutôt consacrés aux conflits de coutumes, opposant des normes d’un État avec un système juridique non unifié, comme il fut le cas en France avant le Code Napoléon. Ce dispositif est d’ailleurs toujours d’actualité dans des États à structure fédérale (comme les États-Unis ou l’Allemagne) où peuvent cohabiter plusieurs lois selon l’endroit. Ainsi, si les conflits internes ont inspiré les conflits internationaux, c’est au tour des conflits internationaux d’affecter le droit interne.


Théoriquement, la loi étrangère n’étant pas incorporée dans le corpus juridique interne, on est en droit de se poser la question de la subordination du juge à une juridiction externe. Comment peut-il avoir accès au contenu de la loi étrangère et est-il en mesure de l’appliquer correctement ?
On en arrive inévitablement aux moyens mis à disposition pour établir le contenu de la loi étrangère. La pratique actuelle voudrait que la charge de l’établissement de son contenu pèse sur les parties, alors que dans une situation classique, c’est au juge de connaitre la loi. Mais dans un contexte de conflit des lois, l’ignorance de la loi étrangère n’est pas reprochable au juge.
La doctrine avance plutôt l’idée que la partie prétendant qu’une loi étrangère est applicable, et donc étant à l’origine de ce trouble de « statu quo », c’est à elle que revient la charge de la preuve, du moment qu’il s’agit d’une autre loi que la loi domestique. Et c’est là tout le problème : les parties ne sont pas forcément des professionnels du droit, et elles peuvent trouver des difficultés dans l’établissement de cette preuve. De là, et pour éviter une situation de blocage, le juge peut ne pas avoir d’autres choix que d’appliquer sa loi nationale, seule loi en présence, pour pouvoir régler le litige.
Et pour appuyer cette indifférence que peut avoir le juge pour la loi étrangère, l’usage fait que le contenu de la loi étrangère n’est pas catégorique, mais il est reçu plutôt comme un fait, qui est donc ouvert à une interprétation plus large. La loi étrangère n’est finalement pas immuable pendant la phase de réception dans l’ordre interne. L’accueil de celle-ci n’était pas à l’image d’une translation pure et simple.


À cette image, la tendance à chercher la facilité et évincer la loi étrangère est devenue courante. D’ailleurs, elle prend de plus en plus d’ampleur, au point qu’il existe même dans l’usage des excuses courantes à cette révocation.
Le juge peut, sans que cela lui soit reprochable, avoir recours aux lois locales, justifié par le principe de présomption. On présume que la loi étrangère, même si son contenu n’a pas été établi avec certitude, est semblable avec le droit du for. Bien que cette méthode paraisse contradictoire, dans la mesure où on suppose le contenu d’un droit, alors que justement cette supposition est due à l’ignorance de ce droit, c’est une approche qui peut être acceptée. On avance alors un argument de logique, se basant tout simplement sur la ressemblance des sociétés, des coutumes, etc. Cette conception de règlement de litiges, bien qu’offrant énormément de facilités pour la procédure, parait tout de même assez artificielle et peu rationnelle.
Autre pratique très effective au Maroc, c’est le précepte de privilège. La théorie générale voudrait que le juge recherche la nationalité la plus effective, c’est-à-dire la nationalité qui se rapproche le plus de la réalité (par exemple, dans le cas d’une personne avec deux nationalités, dont l’une a été acquise récemment, on favorisera le droit de la nationalité d’origine). Mais le privilège de nationalité balaye précisément ce précepte, dans la mesure où, dès que le juge rencontre dans ce litige sa nationalité, il ignore toutes les autres.
Cette pratique se ressent d’autant plus que la jurisprudence étend cette primauté de la loi marocaine à tout étranger de confession musulmane, mais aussi à la reconnaissance et l’exequatur des décisions étrangères, du moment que celles-ci vont contre les dispositions de la Moudawana en matière de droit de la famille.


Toutes ces dispositions réduisent radicalement le champ d’application de la loi étrangère au Maroc, donnant lieu à une confrontation inégalitaires entre les législations, et bien loin de l’esprit recherché par le droit international privé, les conventions internationales et les règles de conflits de lois.
On entrevoit là la volonté du Maroc de vouloir préserver non plus seulement sa souveraineté, mais aussi son « unité sociale », c’est-à-dire un climat fondamentalement ancré dans ses racines identitaires et religieuses. À cette notion d’unité sociale, se rattache également le concept de lois de police, lois d’applications immédiates, sans passer par un éventuel conflit de lois, et ce, peu importe la situation.


De là, on retient clairement que l’ouverture de l’État à la réception de situation étrangère n’est pas aussi large que ça. Le législateur établit bien des codes de droit international privé, adhère à des conventions internationales, instaure des traités multilatéraux, etc. Mais en parallèle à ces ponts internationaux, il crée ou maintien des barrières empêchant le passage des situations aussi aisément que ne le laissent entendre les conventions.
Et c’est là une problématique majeure et inévitable au développement du droit international privé, car chaque droit est modelé d’après les conceptions du for. Et justement, il subsiste ce dilemme entre l’insertion dans un ordre international et une vision traditionaliste.


Le souci est qu’il ne suffit pas d’établir une myriade de textes pour faire état d’un avancement. Il faudrait que ce progrès soit accompagné par l’installation d’une certaine coutume de la reconnaissance et de l’acceptation. Ceci peut aussi passer par un dialogue plus direct entre les juridictions, dans le but d’une application coordonnée et une meilleure administration de la justice.
Un premier pas est déjà fait dans ce sens avec l’apparition des magistrats de liaison, qui sont des magistrats représentant un État sur le territoire d’un autre dans le cadre d’une convention bilatérale afin de faciliter la coopération judiciaire. Il a alors pour fonction première d’améliorer la compréhension et l’application plus rapide des règles de procédure. Il contribue pour cela à l’échange d’informations sur les systèmes juridiques et judiciaires. Mais bien qu’à l’origine, il agit surtout dans le domaine pénal, il n’y est pas limité, et il est souvent appelé à participer à d’autres activités touchant à d’autres matières.

22 janvier 2025
La TVA dans le secteur de l'enseignement privé au Maroc : Enjeux et perspectives fiscales Le régime fiscal des établissements d’enseignement privé au Maroc suscite de nombreuses interrogations, notamment en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Cette brève analyse vise à éclairer les spécificités fiscales de ce secteur et à proposer des solutions concrètes pour alléger la charge fiscale pesant sur ces institutions stratégiques pour le pays. Un cadre législatif conçu pour soutenir l’éducation Conformément à l’article 91-1° du Code Général des Impôts (CGI), les prestations d’enseignement et les activités qui leur sont directement liées bénéficient d’une exonération de TVA. Cette exonération vise à alléger les coûts des établissements scolaires et concerne notamment : Les frais d’inscription et de scolarité : Les sommes perçues pour les cours dispensés sont exonérées en vertu de l’article 91-1°-a du Code Général des Impôts (CGI) Les services éducatifs annexes : L’utilisation des bibliothèques, des laboratoires ou encore des outils pédagogiques est incluse, comme précisé par article 91-1°-b du CGI. Cependant, certaines activités commerciales accessoires, telles que les cantines ou la vente de fournitures scolaires, demeurent soumises à la TVA (article 89 du CGI). Cette distinction entre prestations exonérées et imposées crée un déséquilibre fiscal, impactant les établissements dans leur gestion financière. Une exonération aux conséquences contrastées Si l’exonération de TVA sur les services d’enseignement allège les frais directs des familles, elle engendre une absence de droit à déduction pour les écoles. En conséquence, ces établissements supportent la TVA payée sur leurs achats et investissements comme un coût supplémentaire. Cette situation limite leur capacité à réinvestir dans des infrastructures ou à moderniser leurs équipements pédagogiques, créant ainsi un effet pervers. Ce frein financier réduit non seulement leur marge bénéficiaire, mais pourrait aussi les inciter à augmenter les frais de scolarité pour compenser cette charge. Les avantages fiscaux disponibles pour le secteur Pour atténuer les charges fiscales, le système fiscal marocain prévoit plusieurs avantages destinés aux établissements d’enseignement privé, notamment : Exonération de TVA sur les investissements L’article 89 du CGI exonère de TVA les matériels pédagogiques essentiels (ordinateurs, logiciels éducatifs, équipements de laboratoire, etc.) ainsi que les travaux de construction et d’aménagement des locaux destinés à l’enseignement. Cette mesure encourage les écoles à investir dans des infrastructures modernes et adaptées aux besoins des élèves. Exonération de l’Impôt sur les Sociétés (IS) Conformément à l’article 123 du CGI, les établissements privés agréés par les autorités compétentes bénéficient d’une exonération d’IS sur leurs revenus éducatifs. Cette disposition, à condition d’être respectée, permet aux écoles d’optimiser leur gestion fiscale tout en renforçant leur compétitivité. Allègements en fiscalité locale Les exonérations fiscales ne se limitent pas à la TVA et à l’IS. En vertu de la loi 47-06 sur la fiscalité des collectivités territoriales, les écoles peuvent également bénéficier : D’une exonération de la taxe professionnelle pendant les cinq premières années d’activité; D’une exonération de la taxe d’habitation pour les locaux à usage exclusivement éducatif. Ces mesures permettent de réduire significativement la charge fiscale globale des établissements, bien qu’elles ne compensent pas l’absence de droit à déduction de la TVA. Des solutions stratégiques pour atténuer l’impact fiscal Face aux limites actuelles, plusieurs stratégies peuvent être envisagées pour réduire les effets négatifs de la TVA non récupérable : Fractionnement des activités Les écoles peuvent créer des entités juridiques distinctes pour leurs activités commerciales (cantines, ventes de fournitures, transports scolaires). Cette séparation permettrait de déduire la TVA sur ces opérations imposables, allégeant ainsi la charge fiscale globale. Optimisation des exonérations Pour maximiser les avantages fiscaux, il est recommandé de planifier les investissements en fonction des exonérations prévues par le CGI et de solliciter des certificats d’exonération avant tout achat ou importation de biens pédagogiques. Ces démarches permettent de réaliser des économies substantielles sur le long terme. Dialogue avec les autorités fiscales Les établissements peuvent engager des discussions avec la Direction Générale des Impôts afin d’étudier la possibilité de mécanismes spécifiques de déduction partielle pour les achats essentiels à leur mission éducative. Cette approche pourrait aboutir à des solutions innovantes pour le secteur. Une réforme nécessaire pour un secteur stratégique  L’enseignement privé est un pilier fondamental pour l’amélioration du système éducatif marocain. Une réforme fiscale adaptée, prenant en compte les spécificités et besoins du secteur, pourrait permettre à ces établissements de continuer à jouer leur rôle tout en renforçant leur viabilité économique. Un accompagnement juridique et fiscal sur mesure est donc indispensable pour optimiser les performances financières et respecter les obligations réglementaires.
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